 |
Introduction
par Jacob Arfwedson (2008)
[livre]
Le jour où la France fait faillite devrait relever de la politiquefiction. Or les faits sont têtus : la dette publique français est jusqu’à nouvel ordre transmise aux générations futures.
La France n’est pas l’Argentine, nous dira-t-on. Certes, mais avec quelques efforts supplémentaires d’enthousiasme dépensier, nous finirons peut-être par y parvenir. A l’heure
actuelle, les chiffres officiels de la dette n’incluent pas les
engagements en termes de retraites, promis à l’ensemble des
salariés, ni même les retraites des fonctionnaires ; si tel était le
cas, la France serait très proche de l’Italie en matière
d’endettement.
La situation est déséspérée, mais la solution existe. J’étais conscient de l’expérience du Chili, sans l’avoir étudiée. Depuis longtemps, il est de bon ton en France de rejeter les expériences de réforme d’autres pays, car cela « ne marcherait jamais chez nous ». Il est temps de refuser ce mercantilisme
intellectuel pour importer davantage d’idées de réforme.
Lorsque j’ai rencontré l’auteur des pages qui suivent, à
Bucarest en septembre 2007, je n’aurais pas pensé pouvoir
rédiger cette introduction en conséquence de ce rendez-vous
fortuit. En effet, José Piñera m’a offert le livre qui raconte
l’expérience chilienne ; dès le lendemain, je lui ai proposé de
le rendre accessible au public français. Qu’il soit ici
chaleureusement remercié de la permission de publier ses
textes qui présentent une des réformes les plus fondamentales du 20
e siècle pour libérer les citoyens du joug de l’EtatProvidence.
Pour l’anecdote, José Piñera connaît bien le contexte français,
parce que souvent en visite à Paris, mais aussi de par son
histoire familiale : son grand-père choisit de s’installer à Paris
par amour de la culture française, et afin de transmettre les
grandes œuvres de la littérature française à la bibliothèque
nationale de son pays. Son père, né à Paris, fut éduqué au
lycée Janson-de-Sailly, avant de retourner au Chili en 1932. Il
fut par la suite ambassadeur du Chili auprès de la
Communauté européenne en 1965, nommé par le président de
l’époque, le chrétien-démocrate Eduardo Frei Montalva.
Le lecteur comprendra rapidement que le récit ne se limite pasà la technique de la réforme du régime de retraite, même si
cela forme l’essentiel de l’ouvrage. L’expérience chilienne est
l’histoire de la transition vers une société libre et
démocratique, libérée des contraintes de systèmes
redistributifs devenus insupportables ; et ceci dans une
situation politique extrêmement difficile.
Le parcours de José Piñera et de son équipe tient de l’épopée,
de même que leurs exploits relèvent de la gageure. En deux
ans, et avant la révolution menée par Margaret Thatcher et
Ronald Reagan, un petit groupe d’individus résolus et
réformateurs sont parvenus à volutionner le régime de
retraite, avec l’approbation au final de la population active
chilienne ; mais aussi à réformer le marché du travail et à
promouvoir la nouvelle Constitution du pays qui a achevé la
transition pacifique à la démocratie libérale au Chili.
José Piñera expose dans ce livre la refonte intégrale d’un
régime dégénérescent, miné par l’irresponsabilité des hommes
politiques et ruiné par la foire d’empoigne des intérêts
catégoriels, nourris par un système corporatiste et
l’indifférence d’une population défaite et résignée.
Avec une éloquence et une expertise rares, il expose le
parcours et les dessous politiques d’une réforme fondamentale– combattue à la fois par la classe politique, les milieux
financiers, les syndicats et des couches privilégiées – qui a
fini par triompher, grâce à l’adhésion massive – un véritable
« plébiscite social – accordée par les citoyens chiliens. Il
explique comment les salariés, désormais libres d’investir leur épargne en vue d’assurer leur vieillesse, ont redécouvert les
vertus de la propriété privée, de l’investissement et de la
prévoyance personnelle, loin de la tutelle de l’Etat. Au-delà
des calculs technocratiques consistant à déterminer ce que les
pouvoirs publics vont « donner » d’une main, avant de le
reprendre de l’autre, il met en évidence que toute réforme
réellement sociale doit d’abord se concentrer sur l’individu et
son droit de recueillir les fruits de son travail.
C’est ainsi que « le travail est capital » : la réforme des
retraites réalise enfin la fameuse synthèse qui fait défaut à
l’analyse marxiste, tout simplement parce que cette dernière
rejette les droits de propriété individuels et fait abstraction du
marché qui permet justement l’échange des mêmes droits. « Le travailleur n’a plus que ses chaînes à perdre » ; oui, mais
il est enchaîné à l’Etat ; et il n’aspire qu’au capital, à
condition de pouvoir en disposer librement, grâce au libre
choix et à ses propres efforts de travail et d’épargne.
De même, l’histoire de la réforme au Chili ne relève pas du« miracle », terme que les économistes et les hommes
politiques emploient à chaque fois que les événements les
dépassent. Le vrai miracle est la pauvreté. Oui, il est possible
de détruire un pays et son économie par la uerre et la
violence, ensuite par les impôts et les ubventions, et enfin par
la réglementation et le planisme. Oui, créer un pays comme le
Cuba et la Corée du Nord reste possible, à condition d’y
travailler sans relâche. En revanche, la pauvreté qui en résulte
n’est pas éliminée du jour au lendemain, quand bien même on
accable l’économie de marché à ce sujet. Ainsi, le « miracle »
allemand d’après-guerre, le « miracle » irlandais récent ou
encore le « miracle » de l’envol du sud-est asiatique
s’expliquent tout simplement par le fait que l’action humaine
est à l’œuvre, libre des carcans réglementaires d’un Etat qui se
croit omniscient. La croissance économique ne reflète que la
liberté en action, rien de plus.
Il en va de même en matière d’épargne et donc pour la
retraite : que cet ouvrage puisse éclairer les réformateurs prêts
à sortir de la pensée constructiviste si l’avenir du pays en
dépend. La libération du travail, et par extension du capital
humain et financier, est possible. Le Chili l’a fait il y a déjà
plus de 25 ans ; et 30 pays dans le monde, en Europe et
ailleurs, ont déjà suivi l’exemple.
D’aucuns répondront que la France a connu des ébauches de
réforme abondant dans ce sens, par exemple la loi Fillon
(2003). Or cette initiative, quoique bien intentionnée, ne
constitue qu’une timide odification à la marge d’un système
monolithique: elle a introduit un allongement de la durée de
cotisation et un système marginal de capitalisation, le PERP.
Elle ne concerne qu’une partie du système ; et elle ne fait que repousser l’effondrement inéluctable du régime général de répartition. Aucune réforme n’a proposé au salarié de quitter le système de répartition, en récupérant un titre de propriété équivalant aux cotisations versées, pour lui laisser la
possibilité de choisir ensuite librement les modalités
d’investissement de son épargne-retraite. Le système actuel ne propose que de payer deux fois : d’abord par la feuille de paie,
et ensuite pour pallier la faillite programmée du système
public, l’option de souscrire une assurance privée. A
condition de disposer toutefois de l’argent nécessaire, une fois
que les cotisations obligatoires sont versées, ce qui n’est pas
donné à tout le monde et surtout pas aux plus faibles.
Ce serait insulter l’intelligence des travailleurs français que de prétendre qu’ils sont incapables d’assumer une réforme des retraites par la capitalisation. Il appartient en revanche aux politiques de sauter le pas, ce qui implique cependant de rendre le pouvoir aux citoyens. Or reconnaître les réalités financières du système étatique actuel suppose de la part de nos dirigeants une volonté et une pédagogie pour expliquer que le travail doit être récompensé, au quotidien et en termes de retraite.
« Il n’est de richesse que d’hommes » : dans un contexte de
mondialisation généralisée, la croissance se crée là où le
travail est respecté, nourri, rémunéré et capitalisé. La France
peut éviter la faillite, en introduisant un système qui – en plus
de garantir nos vieux jours, mais surtout ceux de nos enfants –
permettra de revitaliser les marchés financiers, grâce à uneépargne véritablement populaire. Cet ouvrage en appelle à la responsabilité de nos dirigeants ;
il leur rappelle, enfin, que la réforme doit se faire « au peuple », et non contre lui.
|